Mauvaises pratiques de rémunération dans les appels à projets BD/illu

Mauvaises pratiques de rémunération dans les appels à projets BD/illu


Une mise à jour à ce post a été publiée à la suite de ce texte.

La collection Espace Nord a récemment diffusé un appel à projets à destination des auteurices de bande dessinée. Désagréable surprise à la lecture de l’appel : les conditions proposées ne sont tout simplement pas acceptables. Il nous semble donc urgent de rappeler, à la lueur de cet exemple, l’importance d’instaurer de bonnes pratiques de rémunération et de conditions de travail pour les auteurices de la BD et de l’illustration, a fortiori lorsque l’appel émane d’une structure pilotée par la Fédération Wallonie-Bruxelles?.

L’appel d’Espace Nord

L’appel complet est consultable ici.
Dans les grandes lignes, l’appel concerne "une adaptation en bande dessinée d’une œuvre littéraire publiée dans la collection patrimoniale Espace Nord" (sur une liste de titres préalablement établie). L’ouvrage doit compter un minimum de 120 pages (au format 17 x 24 cm), à réaliser "dans un délai de six mois après communication des résultats". Enfin, "le projet retenu fera l’objet d’une rémunération de 5000 euros au titre d’avance sur droits".

Pour répondre à l’appel, il est demandé aux auteurices candidat.e.s de présenter une note d’intention, un résumé, un extrait "de 5 à 10 pages significatives de l’adaptation graphique " et, à titre facultatif, des esquisses permettant de préciser le projet.

En quoi ce type d’appel est-il problématique ?

L’institution donne le mauvais exemple

La collection Espace Nord, gérée par la maison d’édition des Impressions Nouvelles, appartient à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui se devrait d’être exemplaire en matière de juste rémunération et de conditions de travail dignes.

De plus, l’offre impose des contraintes sur le contenu, le format, la pagination, la technique (noir et blanc) et le délai de livraison. Il s’agit, sans conteste possible, d’un appel d’offres assimilable à un travail de commande, bien qu’une licence créative soit laissée aux auteurices retenu.e.s - ce qui est normal dans le cadre d’une commande artistique. La démarche est donc très différente de celle de l’édition d’un projet à l’initiative d’un.e auteurice.

Une piètre rémunération du travail de création

Ce travail relevant de la commande, il serait juste de différencier la rémunération du travail, garantissant également un statut social à l’auteurice, de la cession des droits pour l’exploitation de l’œuvre. La rémunération devrait s’effectuer sous forme de cachet, à la page ou au forfait, selon l’usage de la profession, un paiement en droits d’auteur complétant le cachet. En aucun cas un tel travail ne peut être uniquement rémunéré en droits d’auteurs. À défaut, le montant de l’avance devrait au moins pouvoir compenser le temps de travail minimum nécessaire à la réalisation des pages. Or, L’avance sur droit proposée est dérisoire, au regard du nombre de pages à fournir.

Le délai (120 pages en 6 mois) est intenable pour la plupart des auteurices et imposera de s’y consacrer au-delà d’un temps plein, sans être rémunéré suffisamment, comme précisé plus haut. Une fois les impôts déduits cela représente moins de 800€ mensuel brut, sans aucun avantage ni couverture sociale puisqu’il n’y a pas de cotisations sur les droits d’auteur. Si l’on calcule à la page, cela fait moins de 40€ pour chaque planche réalisée... Dans quel secteur accepte-t-on de telles conditions pour un investissement supérieur à un temps plein ?

Par ailleurs, l’appel est réservé à « des auteurs et autrices, illustrateurs et illustratrices belges, ayant à leur actif au moins une publication professionnelle non autoéditée, en album ou en revue. ». Des professionnel.le.s donc, alors que ce qui est proposé en contrepartie est loin de l’être.

Un travail non rémunéré à fournir pour candidater

Demander aux participant·es à un appel ou à un concours de fournir préalablement un travail et de réaliser des essais, alors que la plupart n’auront tout simplement aucune gratification pour cela, n’est plus tolérable. Le ou la commanditaire devrait retenir les postulant.e.s sur la seule base d’une présentation de leurs parcours / travaux existants et d’une note d’intention. Si un essai semble nécessaire, faute de confiance dans les auteurices, il devrait alors être rémunéré pour celles et ceux qui seront pré-sélectionné.e.s.

La suite...

ABDIL a alerté le directeur de collection sur ces points problématiques. Au vu du sérieux de la maison d’édition et de la collection, nous ne doutons pas qu’il révisera sa copie dans les jours qui viennent.

À l’heure où la fédération s’apprête à mettre en place un contrat de filière dans lequel ABDIL attirait déjà l’attention sur le manque d’attention aux auteurices, voici encore une preuve d’une culture généralisée du sous-financement de la création dans le secteur des lettres et du livre. Changeons les habitudes, financez la création !


Mis-à-jour 13 juillet 2022

Suite à notre interpellation, la collection Espace Nord a proposé d’adapter son appel sur ces différents points :

  • Un aménagement des délais de réalisation (6 mois ou plus) ;
  • Un éclaircissement sur le fait que les 120 pages concernent la pagination totale du volume (et non le nombre de pages illustrées) ;
  • Un rappel de ce que le projet ne repose pas nécessairement sur des « planches » de bande dessinée. On parle ici d’une adaptation graphique, ce qui peut recouvrir des réalités très variées. Dans un souci de clarté, l’expression « bande dessinée » a été retirée car ce n’est pas la seule forme que vise cet appel à projets ;
  • Une ouverture aux auteurs autoédités ;
  • Une réduction de la taille de l’extrait attendu (3 à 5 pages).

Il nous a été précisé que l’appel ne pouvait être retiré du marché puisqu’il est impossible de prévenir tous les candidat.es éventuel.les qui l’auraient reçu.

De plus, les modalités de la rémunération ne seront pas modifiées. Cela impliquerait de revoir intégralement le modèle économique du projet, ce qui semble impossible de leur côté.

Nous saluons leur réactivité et la démarche de modifier les conditions de l’offre, même si elle reste problématique. Nous entendons, qu’à ce stade, il ne soit pas possible de modifier en profondeur le projet et d’en revoir le financement.

Néanmoins, si une telle démarche n’est pas envisageable, au niveau de la Collection Espace nord, nous pensons qu’un geste de la Fédération-Wallonie Bruxelles serait tout à fait opportun.

À l’heure où une réforme du statut des artistes est en cours au niveau fédéral, les Communautés et leurs Ministres des Cultures, en charge du soutien public, se sont engagés à contribuer et à garantir le respect de conditions de travail viables pour toutes et tous.

Des rémunérations si basses qui n’ouvrent aucun droits sociaux - et à fortiori l’accès à un statut spécifique et légitime, quels que soient ses seuils - illustrent parfaitement le fossé entre la situation des auteurices et le soutien public à ce secteur.

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