Mémorandum 2024
Mémorandum à l’attention du futur gouvernement Fédéral et de celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles?
Présentation
ABDIL - Auteurices de la Bande dessinée et de l’Illustration – est une association actuellement composée de 384 membres qui défend les intérêts des créateurices professionnel·les de l’édition auprès des différents niveaux de pouvoir politique, de la société civile et des autres acteurices du Livre et de la Culture (maison d’édition, diffuseur-distributeur, etc.).
ABDIL est reconnue comme fédération représentative du secteur des arts par la Fédération Wallonie-Bruxelles? (dans le cadre du Décret de gouvernance culturelle) ainsi qu’au niveau fédéral (dans le cadre de la Commission du travail des arts).
Les membres d’ABDIL et leurs représentant·es défendent, notamment, le droit à la juste rémunération de leur travail, un statut professionnel adapté à leur pratique et à l’intermittence de leurs rémunérations, l’adhésion à un régime de sécurité sociale équitable et solidaire, un financement public suffisant à garantir la diversité de la création culturelle.
ABDIL travaille de concert avec d’autres fédérations professionnelles du secteur des arts et est également membre de l’Union des Professionnel·les des Arts et de la Création pôle Travailleur·euses (UPACT).
Depuis 2020, ABDIL a notamment :
Participé à l’élaboration de propositions soumises au gouvernement fédéral dans le cadre de la réforme des dispositifs de protection sociale pour les travailleur·euses des arts (projet de l’UPACT) ;
- Participé à la consultation visant à la mise en œuvre de la réforme au sein du groupe de travail WITA, en tant que représentant des artistes créateurices (note WITA) ;
- Fait reconnaître la bande dessinée comme secteur artistique à part entière dans les textes législatifs concernant la protection sociale des travailleur·euses des arts ;
- Proposé, soutenu et accompagné la candidature d’expert·es au sein de la Commission du travail des arts ;
- Assuré un relai et un dialogue régulier avec les cabinets des ministres en charge de la réforme ;
- Informé et accompagné les professionnel·les de son secteur dans l’évolution des dispositifs ;
- Participé à des avis sur de nombreux dossiers au sein de la Chambre de concertation des Écritures et du Livre, dont l’adoption de mesures soutenant la création et la rémunération des auteurices dans la rédaction du très récent Décret de financement des Lettres et du Livre.
ABDIL vous soumet ici ses réflexions et demandes pour la nouvelle gouvernance :
1 - Simplification administrative
Concernant les questions juridiques et fiscales, les travailleur·euses des arts peinent à s’informer correctement sur leurs droits car les outils d’accompagnement sont pour l’instant très limités pour le domaine des arts en Belgique. Les dispositifs spécifiques pour les artistes professionnel·les sont nombreux, complexes et souvent difficilement compréhensibles. L’enseignement fait défaut et une information neutre et complète est difficile à trouver. Cette situation a pour conséquence une grande insécurité juridique et sociale. Elle contraint également les travailleur·euses à de nombreux bricolages administratifs ou les oblige à avoir recours à des intermédiaires parfois chers et peu soucieux des intérêts réels de leurs usager·ères.
ABDIL demande :
- un guichet unique d’information pour tout ce qui concerne le parcours du travail artistique (statut indépendant et salarié, emploi, intermédiaire, fiscalité, etc.) et les aides publiques ;
- une harmonisation des demandes d’aide et de soutien entre les différentes structures publiques ;
- un accès clarifié et homogène aux demandes d’aide publique sur Culture.be, aux formulaires en ligne pour introduire les demandes d’aide ;
- la transparence dans la répartition des aides et soutiens publics culturels, la simplification de l’accès à ces données pour toustes.
2 - Encadrement des Bureaux sociaux pour artistes et intermédiaires de facturation
Les entreprises de portage salarial, telles les Bureaux sociaux pour artistes (BSA?), les ASBL ou les coopératives se substituant au donneur d’ordre en tant qu’employeur, sont bien souvent indispensables pour déclarer le travail des arts, cotiser auprès de l’ONSS? et bénéficier des droits à l’ensemble de la couverture sociale (santé, allocations chômage/travail des arts, pension, etc.). Cette activité étant peu régulée, ces intermédiaires appliquent souvent une tarification opaque, parfois prohibitive, et jonglent avec la législation sociale et le droit du travail parfois au détriment des travailleur·euses. À noter, particulièrement, le pouvoir de la coopérative SMART qui a une position largement dominante vis-à-vis des salarié·es autonomes du secteur des arts.
ABDIL demande :
- la mise en place d’un BSA public pour l’ensemble des travailleur·euses, financé par les employeur·euses du secteur et par les exploitant·es d’œuvre ainsi que par un vrai système de mutualisation sur les contrats des travailleur·euses ;
- de réguler les pratiques des BSA et intermédiaires en les homogénéisant, en imposant la transparence sur les coûts réels de fonctionnement et en plafonnant les montants prélevés sur les revenus des travailleur·euses.
3 - Amélioration du Statut des travailleur·euses des arts
La réforme des dispositifs de sécurité sociale pour les travailleur·euses des arts (attestation du travail des arts?, allocations du travail des arts) représente une avancée conséquente pour les auteurices de l’édition. Elle permet notamment une meilleure prise en compte de leurs revenus, des conditions d’accès et des périodes de perception des allocations plus adaptées. Néanmoins, l’accès aux droits est d’une grande complexité administrative, entraine de l’insécurité juridique et des risques importants de discrimination entre travailleur·euses, et plafonne les revenus des bénéficiaires, ce qui nuit à la négociation salariale et à l’emploi. Le système repose sur la Commission du travail des arts, composée pour moitié d’expert·es du secteur qui assument une très lourde charge de travail et une responsabilité importante, sans être rémunéré·es en dehors d’un système de défraiement.
ABDIL demande :
- de supprimer le principe discriminatoire du plafonnement des revenus qui entraîne des jours non indemnisables supplémentaires (art.188 de l’arrêté chômage) OU, à défaut, d’en revoir le montant tel que prévu dans la note WITA (à savoir 4,5 fois le RMMMG et non 2,5 fois, comme actuellement) ;
- de rémunérer le travail des expert·es siégeant dans la Commission du travail des arts ;
- de garantir que l’ensemble du périmètre des travailleur·euses intermittent·es du secteur des arts soit inclu dans le périmètre des bénéficiaires (artistes créateurices et interprètes, toustes les technicien·nes et professionnel·les de soutien) ;
- de supprimer les discriminations liées à “l’artisticité" de la pratique. La fonction doit suffire à déterminer la qualité du/de la travailleur·euse indépendamment d’un jugement de valeur sur sa démarche ou sur le secteur dans lequel iel a exercé son métier.
4 - Révision du système de rémunération des autreurices
Les licences de droits d’auteur (concession et cession) sont souvent la base de la rémunération du travail des auteurices dans l’édition. Des sommes forfaitaires sont notamment versées en amont de la création sous forme d’avances sur droit afin de permettre la réalisation des ouvrages. Dans une logique rentière, les revenus de droits d’auteur sont fiscalement considérés comme biens mobiliers. Ils bénéficient, jusqu’à un certain plafond, d’une fiscalité très avantageuse mais excluent également les auteurices du régime solidaire car ils ne sont pas pris en compte dans l’accès à la sécurité sociale. Or, bien souvent, les droits d’auteur représentent la première source de rétribution des créateurices professionnel·les en bande dessinée, illustrations, littérature, etc. La récente réforme fiscale et parafiscale sur les droits d’auteur a également créé de grandes incertitudes en ce qui concerne le secteur de l’édition.
ABDIL demande :
- la prise en compte des revenus de droits d’auteur et particulièrement des avances perçues pour le bénéfice de la couverture sociale et de l’allocation du travail des arts ;
- une clarification de la réforme fiscale et de l’application ou non des quotas pour les auteurices rémunéré·es en avances sur droits d’auteur ;
- l’intégration de la rémunération du travail des auteurices dans les aides à l’édition et non exclusivement l’exploitation patrimoniale de l’œuvre (droits d’auteur) ;
- la participation des exploitant·es d’œuvres au financement de la sécurité sociale.
5 - Réforme cohérente des retraites
La condition de travail effective qui a été ajoutée pour bénéficier de la pension minimale est préjudiciable à toustes les travailleur·euses qui ont des carrières morcelées.
C’est particulièrement le cas pour les artistes-auteurices, dont une grande partie des périodes de travail sont invisibilisées et seront considérées comme “assimilées” et non “effectives” (par exemple les périodes sous allocations). Malgré les mesures compensatoires imaginées par le gouvernement, c’est un recul par rapport à la situation précédente. C’est, en outre, incohérent avec les dispositifs validant le caractère professionnel de l’activité et le bénéfice de l’allocation du travail des arts.
ABDIL demande :
- une évaluation claire et chiffrée des conséquences pour les travailleur·euses des arts qui, durant toute une carrière, répondent aux conditions de bénéfice de l’allocation du travail des arts.
6 - Revalorisation du budget de la Culture et du Livre
Les aides publiques aux auteurices de l’édition sont essentielles pour garantir la diversité culturelle et que l’activité créatrice puisse rester indépendante d’une logique de marché et de rentabilité. Pourtant le secteur du Livre est le plus misérablement doté en Fédération Wallonie-Bruxelles (0,4% du budget de la Culture). Les dispositifs de bourses, d’aides (au créateurices, aux éditeurices, aux événements, etc.) et d’emploi artistique sont totalement incohérents avec les mécanismes de sécurité sociale et de fiscalité réformés au niveau fédéral par le WITA et ne permettent pas la valorisation professionnelle des auteurices et l’accès à leurs droits sociaux.
ABDIL demande :
- l’augmentation du budget global de la Culture et de multiplier par 5, a minima, la part réservée à l’Écriture et au Livre ;
- la garantie d’augmentation et d’indexation régulière des aides à la création ; l’harmonisation des mécanismes de soutien public et de rémunération avec les différentes réformes fédérales WITA (attestation du travail des arts, allocation du travail des arts, fiscalité des droits d’auteur, etc.).
Conclusion
En conclusion, bien qu’un nouveau statut des travailleur·euses des arts ait vu le jour et qu’ABDIL accompagne les auteurices à se professionnaliser en défendant continuellement leurs droits et en proposant une offre de formations, d’ateliers, de séances d’information certains changements importants doivent encore être apportés au secteur de la bande dessinée et de l’illustration.
On ne pourra pas véritablement se réjouir d’un nouveau statut de travailleur·euses des arts tant que :
- l’accès au statut est rendu trop laborieux en raison de démarches administratives complexes et éloignées de la réalité des créateurices ;
- certaines contraintes discriminantes ne seront pas levées pour accéder au statut ;
- l’auteurice doit passer par un BSA qui fixe ses propres règles et ne rend de compte à personne ;
- le droit d’auteur, la principale source de revenu des auteurices, est plongé dans un flou juridique et fiscal persistant ;
- les pensions sont calculées à la défaveur des travailleur·euses des arts alors même que le système les encourage (logiquement) à adopter ce statut.
ABDIL attend également du nouveau gouvernement qu’il mette en place une véritable politique de soutien du secteur du Livre comprenant notamment un refinancement de toute la chaîne. Il n’est désormais plus permis que les Lettres et le Livre soient les grands oubliés du budget culturel annuel de la FWB et ne bénéficient d’aucune augmentation ni même d’indexation en 2024. Ce sous-financement entre notamment en totale contradiction avec les objectifs ambitieux du « Contrat de filière du livre » signé par le Ministre-Président Pierre-Yves Jeholet et la Ministre de la Culture Bénédicte Linard en 2023. ABDIL défend la nécessité de mettre en place une politique qui vise notamment à sécuriser l’emploi créatif, à renforcer les structures éditoriales indépendantes, à professionnaliser tous les maillons de la chaîne du Livre.
En espérant que ces différents points auront retenu votre attention, nos membres et tous les travailleur·euses du secteur comptent sur vous pour refinancer la Culture et le Livre en profondeur et poser des actes forts en vue d’améliorer durablement les conditions socio-économiques des auteurs et autrices.