

Angoulême sous tension : comprendre la mobilisation
À l’heure où s’écrivent ces lignes, la pétition « Désertons le FIBD d’Angoulême » – lancée par le Syndicat des travailleurs artistes et auteurs (STAA), la Ligue des auteurs professionnels et la collective MeTooBD – a réuni 2 200 signatures dont pas moins de 11 ancien·nes Grand Prix [1]. Dès son lancement en avril 2025, ABDIL a souhaité se joindre aux signataires de ce texte, compte tenu des graves dérives de la société 9eArt+ en charge, depuis près de vingt ans, de l’organisation du Festival. Où en est la situation ? Quels sont les enjeux soulevés par cette mobilisation ? Erwin Dejasse, membre d’ABDIL, tente de vous apporter des réponses dans l’article qui suit.
Si Angoulême n’est pas le premier festival de bande dessinée en termes de fréquentation [2], son poids symbolique est sans équivalent. Sa programmation envisage le mode d’expression selon un spectre très large qui englobe les mangas autant que les fanzines, les réalisations issues des majors de l’édition comme celles publiées par les structures alternatives, celles qui s’adressent aux enfants aussi bien qu’aux adultes ; affirmant haut et fort sa dimension internationale, son onde de choc est ressentie jusqu’à Bruxelles, Londres, Milan, Buenos Aires, New York ou Tokyo. Le voyage en TGV de la Belgique vers Angoulême, le dernier weekend de janvier, est comme une grande transhumance qui paraît emporter l’essentiel de ce que le pays compte de professionnel·les. La période correspond aussi à cette fenêtre temporelle durant laquelle la presse accorde davantage d’attention à la bande dessinée. Pour le meilleur et pour le pire, le Festival offre une photographie à l’instant T de l’état de la création et des questionnements artistiques, économiques, politiques ou éthiques qui la traverse. Il est un élément structurant dans le paysage de la bande dessinée et, à ce titre, concerne l’ensemble de ses acteurices, y compris celles et ceux qui ne s’y déplacent que rarement, voire jamais.
Un peu d’histoire
Pour bien cerner les enjeux de la crise actuelle, une courte synthèse historique s’impose. La première édition du Salon international de la bande dessinée d’Angoulême a lieu en janvier 1974. Il doit d’abord son implantation dans la petite cité charentaise, peuplée aujourd’hui de 40 000 âmes, à la volonté d’une poignée de ses habitant·es. Au premier chef, Francis Groux, conseiller municipal et employé dans le secteur pétrolier, et Jean Mardikian, adjoint au maire en charge de la Culture, qui se sont associés au critique, scénariste et éditeur parisien Claude Moliterni, pour créer une manifestation inspirée de celle qui se tient depuis 1966 à Lucca, en Toscane.
Débuté sur des bases modestes, Angoulême connaît un développement continu au point que, dans les années 1980, sa visibilité dépasse celle de son modèle italien. L’élection de François Mitterrand à la présidence de la France et la nomination de Jack Lang au poste de Ministre de la Culture favorisent une politique de soutien aux expressions dont la légitimité artistique demeure encore souvent questionnée comme le rock, la mode, les arts de la rue, le design ou la bande dessinée. Les années 1980 sont marquées par la mise en chantier de projets qui vont s’épanouir au cours des décennies suivantes : musée, médiathèque, cursus de formation en bande dessinée au sein de l’École européenne supérieure de l’image, Pôle Magelis visant au développement économique de la « filière Image », Maison des auteurs dédiée aux résidences d’artistes… La bande dessinée s’ancre de façon pérenne sur le territoire de la ville et s’y épanouit désormais toute l’année et non plus uniquement durant le dernier weekend de janvier.
La volonté des pouvoirs publics de réunir sous une même coupole l’ensemble des initiatives en lien avec la bande dessinée aboutit à la création en 2008 de la CIBDI. La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, établissement public de coopération culturelle (EPCC) [3], regroupe le Musée et la Maison des auteurs mais n’inclut pas le Festival, en dépit du souhait du Ministre de la Culture de l’époque, Jean-Jacques Aillagon. Ce refus émane de l’« Association du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Fondatrice du Festival » telle qu’elle se désigne sur sa page Facebook. Cette « association loi 1901 » – l’équivalent français d’une asbl –, créée en 1976, se veut l’héritière du trio à l’origine de la manifestation et en est, à ce titre, la propriétaire légale.
Ses dirigeant·es ont entretemps fait le constat que le FIBD a atteint une taille critique qui exige une professionnalisation de son organisation et qu’une structure associative n’est, selon eux·elles, plus adaptée pour tenir seule les rênes de l’évènement. Elle décide en 2007 de confier la gestion du Festival à une entreprise privée : 9e Art+ que vient de créer Franck Bondoux. Venu du sponsoring sportif, ce dernier est depuis 2003 en charge du développement des partenariats au sein du Festival.
Si, dès 1974, Angoulême a traversé de multiples turbulences ponctuées de psychodrames, les deux décennies suivantes seront plus encore marquées par d’incessants conflits qui impliquent les différents acteurrices engagé·es dans l’organisation de l’évènement : l’Association du FIBD, la société privée 9e Art+, la CIBDI et les pouvoirs publics (ville, Communauté d’Agglomération du Grand Angoulême, région et État), auxquel·les s’ajoutent les auteurices et éditeurices, structuré·es en différentes organisations représentatives.
C’est néanmoins 9e Art+ et le délégué général Franck Bondoux qui vont au fil du temps concentrer l’essentiel des griefs. En 2014, ce dernier fait déposer à son nom, en toute discrétion, les marques « Festival de la BD d’Angoulême » et « Festival d’Angoulême » avant de les restituer sous la pression des autorités municipales. L’acmé semble atteinte lors de l’édition 2016 : trois semaines avant l’ouverture, l’organisation publie la présélection du Grand Prix – récompense la plus prestigieuse qui couronne un auteur ou une autrice pour l’ensemble de son œuvre – ; une liste de 30 noms exclusivement masculine ! Face aux multiples protestations, six créatrices sont ajoutées à la hâte avant qu’il ne soit décidé que le vote serait désormais libre sans présélection préalable. Interviewé dans les pages du Monde, Franck Bondoux avance une justification que contredisent pourtant les faits historiques les mieux établis : « Il y a malheureusement peu de femmes dans l’histoire de la bande dessinée. C’est une réalité. »
Une enquête accablante
Alors que les tensions restent vives, la parution en janvier 2025 d’un dossier de l’hebdomadaire L’Humanité Magazine va replacer 9e Art+ et son délégué général sous le feu de la contestation. Le désaveu est sans commune mesure avec tout ce qui a précédé, y compris de la part d’acteurices du milieu dont les critiques à l’égard de Franck Bondoux étaient demeurées plutôt tièdes ou qui semblaient jusqu’alors s’accommoder de sa gestion. Fruit de plusieurs mois de travail, l’enquête menée par Lucie Servin met en lumière des dysfonctionnements déjà constatés auparavant mais dont on ne soupçonnait pas nécessairement l’ampleur tout en mettant en lumière de nouveaux faits accablants.
La journaliste a recueilli de multiples témoignages de collaborateurices ou ancien·nes collaborateurices de 9e Art+ qui, souvent sous le couvert de l’anonymat, décrivent une organisation défaillante génératrice de souffrance au travail et un management toxique fondé sur l’humiliation. Depuis 2020, ce ne sont pas moins de six directeurs et directrices artistiques qui ont successivement jeté l’éponge [4]. Le dossier pointe également de possibles dérives népotistes après l’engagement en juin 2022 de la propre fille du délégué général, Johanna Bondoux. En dépit d’une expérience dans le domaine de la bande dessinée extrêmement limitée, elle est d’emblée promue « directrice du développement ». À ce titre elle joue un rôle prééminent dans la constitution des jurys – une tâche dont on pourrait a priori penser qu’elle est plutôt du ressort de la direction artistique. Les dernières éditions ont d’ailleurs été marquées par une peopolisation des jurys où les personnalités sans aucun lien avec la bande dessinée prennent désormais une place très importante [5].
Au-delà de la composition des jurys, c’est la place laissée à la dimension artistique du mode d’expression qui semble aujourd’hui menacée. Du côté des concurrents – les festivals de Lucca ou de San Diego –, la bande dessinée est aujourd’hui largement envisagée comme une composante des industries culturelles. La programmation d’Angoulême avait en revanche su trouver la balance entre les créations qui repensent leurs arsenaux thématiques, narratifs ou esthétiques et celles – a priori davantage susceptibles de plaire à un large public – qui reprennent les usages les mieux établis. L’article de L’Humanité Magazine affirme ainsi que l’évolution des expositions répond de plus en plus à une « logique de promotion de produits éditoriaux » alors que leur nombre diminue. L’édition de 2020 présentait 12 expositions quand celle de 2025 n’en proposait plus que 8, en dépit d’une hausse substantielle du prix d’entrée – entre 2024 et 2025, le pass complet de 4 jours en plein-tarif est passé de 45 à 60 €, soit une augmentation inédite de 25 %.
La visibilité de plus en plus ostensible des sponsors apparaît comme autre symptôme de la marchandisation du FIBD : tribunes durant la conférence de presse inaugurale, « naming » des récompenses (prix Fauve Polar SNCF ou prix Éco-Fauve Raja), visibilité accrue des marques sur les affiches et dépliants… L’édition 2025 a en outre vu l’arrivée de la célèbre chaîne de fastfood Quick en tant que partenaire du FIBD. Des « Espaces Quick », présentant des animations plus particulièrement destinées au jeune public, ont été installés dans différents lieux de la manifestation. Ceux-ci témoignent, selon le site officiel, de la volonté partagée entre le Festival et son sponsor de « renforcer et de rendre accessible au plus grand nombre la lecture de la bande dessinée ». L’initiative a suscité bien des grincements de dents, notamment chez les représentant·es des pouvoirs publics qui interviennent pour moitié dans le financement de la manifestation, à l’heure où ils·elles mettent en œuvre, avec les producteurices locaux·ales, des programmes pour fournir une alimentation de qualité dans les cantines scolaires.
9e Art+ a également été épinglé par la Chambre régionale des comptes (CRC) de Nouvelle Aquitaine. Cette entité officielle est légalement habilitée à exercer un contrôle budgétaire sur les structures basées sur son territoire qui bénéficient de subventions publiques et, le cas échéant, de signaler de possibles effractions financières [6]. Dans un rapport daté de 2021, la CRC dénonce une comptabilité insuffisamment transparente qui pourrait dissimuler de potentiels manquements à la loi. Elle pointe par ailleurs l’existence d’une seconde société, Partnership Publishing, également propriété de Franck Bondoux. Celle-ci facture, outre son salaire, des commissions, variant entre 25 % et 35 %, prélevées sur les sommes apportées par les sponsors. Selon la CRC la présence de deux sociétés « fait écran » pour les financeurs publics. Partnership Publishing n’étant pas, contrairement à 9e Art+, soumise au contrôle de la CRC, elle n’est pas en mesure de contrôler sa comptabilité. Cette opacité ne permet pas de connaître les flux financiers sortant de Partnership Publishing ni, dès lors, d’évaluer le salaire réel que se verse le délégué général du FIBD [7].
L’ultime révélation que contient le dossier de Lucie Servin dans L’Humanité Magazine est depuis communément désigné comme « L’Affaire Chloé ». Chloé est le prénom d’emprunt d’une ancienne responsable de la communication du FIBD qui affirme avoir été violée sous soumission chimique par un collègue durant l’édition 2024. Peu après les faits, elle est vue par un médecin qui avertit son employeur et lui conseille de porter plainte ; ce qu’elle fera dans les jours suivants. Après un congé de maladie, elle retourne sur son lieu de travail chez 9e Art+. Selon son témoignage, elle est aussitôt priée par Franck Bondoux de quitter les locaux sur le champ et sera ensuite licenciée pour faute grave. Motif de la sanction : « un comportement incompatible avec l’image de l’entreprise » ; Chloé aurait été vue à plusieurs reprises en état d’ébriété pendant la durée du Festival. Le dossier est actuellement à l’instruction.
SAS : une co-construction contestée
Après la parution du dossier de L’Humanité Magazine, les dysfonctionnements du FIBD sont abondamment relayés par les autres organes de presse et largement commentés sur les réseaux sociaux – singulièrement « l’affaire Chloé » qui apparaît comme le « scandale de trop » pour une organisation déjà largement discréditée. Durant l’édition 2025, des affichettes « Chloé, on te croit » sont visibles sur de nombreux stands, sur les murs de la ville et dans les différents lieux du Festival ; lors de la remise des prix, plusieurs autrices et auteurs profitent de la tribune qui leur est offerte pour faire entendre leur mécontentement et exhorter le Festival à agir davantage contre les violences sexistes et sexuelles ; une « Manif en ligne » qui se tient sur les réseaux sociaux réclame le départ du délégué général et la fin du contrat qui lie l’Association du FIBD et 9e Art+ ; les deux principaux syndicats d’éditeurs publient chacun un communiqué dans lequel ils réclament qu’un nouvel appel d’offre soit lancé pour l’organisation des futures éditions.
Tant Franck Bondoux que Delphine Groux, présidente de l’Association du FIBD et fille d’un des trois fondateurs, paraissent sourds à la colère, jugent les accusations infondées et n’adressent aucune marque de compassion à l’égard de Chloé – le premier cité allant même jusqu’à révéler le véritable nom de son ancienne collaboratrice dans un courrier adressé aux syndicats des éditeurices. À rebours des demandes qui réclament le divorce entre les deux structures, c’est au contraire un renforcement des liens qui unissent l’Association du FIBD et 9e Art+ qui se dessine. Fin mars 2025, Franck Bondoux et Delphine Groux convoquent une réunion avec le SNE (Syndicat National des Éditeurs, représentant les grosses structures éditoriales) sans y convier le SEA (Syndicat des Éditeurs Alternatifs). Objet de la réunion : la présentation d’un projet de création d’une nouvelle société, une SAS (société par actions simplifiée) qui réunirait les deux structures. Contactée par le quotidien La Charente libre, Delphine Groux dit travailler « main dans la main » avec le délégué général tout en affirmant que la piste de SAS sera « poussée jusqu’au bout ». Elle ajoute par ailleurs qu’elle n’envisage pas, dans l’état actuel des choses, de lancer un appel qui permettrait de la mettre en concurrence avec d’autres projets. Si elle évoque une « co-construction », nombreux·euses sont les observateurices qui y voient une fusion pure et simple de l’Association du FIBD et de 9e Art+, une privatisation complète de la manifestation qui laisserait les mains entièrement libres à Franck Bondoux lequel deviendrait de facto le propriétaire à durée indéterminée de la manifestation.
Chez les décideur·euses politiques et singulièrement de la ville d’Angoulême, personne ne semble accueillir le projet de SAS avec un enthousiasme sans réserve. La réunion du conseil municipal qui a suivi son annonce laisse globalement apparaître un avis négatif de la part des représentant·es de l’opposition alors que, du côté de la majorité, la tendance est plutôt de calmer le jeu dès lors que le calendrier autorise encore certaines marges de manœuvre. Il y a fort à penser que, dans leurs décisions et prises de position futures, les élus et élues auront en ligne de mire les prochaines élections municipales qui se tiendront en mars 2026, soit juste après la prochaine édition du FIBD [8]. On devine les tiraillements qui peuvent les habiter entre l’opportunité de se débarrasser d’un personnage sulfureux et la crainte d’un nouveau psychodrame qui ferait planer le doute sur l’avenir d’une manifestation devenue consubstantielle de l’identité de leur petite cité.
Aux dernières nouvelles, le SNE, représentant les majors de l’édition, n’a pas officiellement commenté le projet de SAS qui leur a été soumis par Franck Bondoux et Delphine Groux. Toutefois, plusieurs journalistes disent avoir recueilli des confidences qui laissent entendre que les points de vue au sein du Syndicat sont loin d’être alignés, allant de l’attitude attentiste à la franche hostilité. Chez les membres du Syndicat des Éditeurs Alternatifs, le rejet est toujours selon la presse quasi-unanime ; au moins 35 structures sur les 48 que comptent le SEA ont annoncé être prêtes à boycotter Angoulême 2026.
Le 24 avril 2025, le SNE, le SEA et le SNAC (Syndicat national des auteurs et des compositeurs) adressent un courrier commun à Delphine Groux afin d’obtenir des éclaircissements et des prises de position claires quant au futur du Festival et sur la manière dont leurs organisations y seront intégrées. Le 16 mai 2025, l’Association du FIBD publie un communiqué dans lequel elle fait part de sa décision de « réaliser une consultation pour l’organisation de son événement à compter de l’édition 2028 » sans toutefois préciser quelles sont les modalités de cette consultation ni qui seront les personnes consultées.
L’action la plus médiatisée est une initiative conjointe de deux organisations de défense des droits professionnels et sociaux des créateurices – le Syndicat des travailleurs artistes et auteurs (STAA [9]) et la Ligue des auteurs professionnels [10] – ainsi que de la collective MeTooBD [11]. Née en 2023 dans la foulée de « L’Affaire Bastien Vivès [12] », cette dernière entend « lutter contre les violences et les harcèlements sexistes et sexuels dans le milieu de la bande dessinée ». Une pétition intitulée Désertons le FIBD d’Angoulême paraît dans le quotidien L’Humanité le 18 avril 2025. Si, parmi les 400 signataires, on retrouve surtout des auteurs et autrices – dont, au bas mot, une trentaine d’ancien·nes lauréat·es –, la liste couvre l’essentiel des métiers en lien avec la bande dessinée : coloristes, traductrices, éditeurices, critiques, attaché·es de presse, chercheur·euses académiques… La pétition, toujours accessible en ligne, a réuni à ce jour 2 200 signatures : www.mesopinions.com/petition/art-culture/desertons-fibd-angouleme/241489. Le texte entend interpeler « l’Association du FIBD d’Angoulême sur la nocivité du contrat qui la lie avec la société 9e Art+ » et les manquements répétés de cette dernière, au premier chef le licenciement pour faute grave de Chloé. La pétition en appelle aussi à la responsabilité des partenaires – privés et publics – afin qu’ils exercent la pression nécessaire sur les organisateurices. Enfin, elle dénonce le projet de SAS et demande que la gestion du Festival soit soumise « à un appel à projets impartial ». Les signataires s’engagent à boycotter l’édition 2026 dans l’hypothèse où cette demande ne devait pas être rencontrée.
ABDIL a fait le choix de se joindre à la liste des signataires dès lors que les revendications contenues dans la pétition rejoignent les missions qu’elle s’est assignée. La prévention, la sensibilisation et l’action contre la souffrance au travail et contre les violences sexistes et sexuelles sont évidemment des enjeux essentiels dans la cadre de ses missions. Selon les mots du dernier communiqué de presse de l’Association du FIBD, Angoulême est devenu, depuis sa création il y a plus de 50 ans, « le plus grand évènement de la bande dessinée à l’échelle mondiale ». Cette réussite, il le doit évidemment à l’énergie visionnaire d’une poignée de fans de la première heure et aux talents de toutes les personnalités qui se sont succédées pour en assurer l’organisation. Il n’aurait cependant jamais connu pareil développement sans les auteurs et les autrices – mais aussi les éditeurices, journalistes, conférencier·ères, commissaires d’exposition, représentant·es des pouvoirs publics, lecteurices... – qui l’ont nourri de leurs créations, de leurs discours, de leurs imaginaires, de leurs combats et de leurs enthousiasmes. Comme le note la pétition, le FIBD « appartient désormais à la collectivité et, à ce titre, il est devenu un évènement d’intérêt public pour la survie de notre medium ». Les travailleurs et travailleuses de la bande dessinée et de l’illustration sont en droit d’attendre que leur Festival d’Angoulême fasse un usage transparent de ses bénéfices et que ce bien commun qu’ils et elles ont largement contribué à construire ne puisse être réduit à sa seule dimension marchande.
Sources :
ActuaBD
La Charente libre
L’Humanité Magazine
Libération
Hervé Cannet, Le Grand Vingtième. Histoire du Festival d’Angoulême, Angoulême, PQR / La Charente libre, 1993.
Philippe Capart & Nicolas Finet, Angoulême BD : une contre-histoire (1974-2024), Bruxelles, La 5e couche, 2024
Thierry Groensteen (dir.), Primé à Angoulême : 30 ans de bandes dessinées à travers le palmarès du Festival, Angoulême, l’An2, 2003
Francis Groux, Au coin de ma mémoire, Montrouge, PLG, coll. « Mémoire vive », 2011.
Xavier Monnier, « Angoulême en bande organisée », Blast Info, 13 mars 2022 <www.blast-info.fr/articles/2022/ang...>
Lucie Servin & Elisabeth Fleury, « Gros sous et mal-être : un festival en pleine dérive », L’Humanité Magazine, 23 janvier 2025.
Philippe Tomblaine, Le 50ème, une odyssée du Festival International de la Bande Dessinée, PLG, coll. « Mémoire vive », 2023.
Notes
[1] Charles Berberian, Blutch, Florence Cestac, Julie Doucet, Philippe Dupuy, José Muñoz, Anouk Ricard, Posy Simmonds, Art Spiegelman, Lewis Trondheim et Chris Ware.
[2] Crée en 1975, le Comiket de Tokyo est une foire dédiée, pour une large part, aux mangas autopubliés (dōjinshi). Généralement présenté comme le premier festival de bande dessinée en termes d’affluence, il atteint son pic en 2019 avec plus de 700 000 visiteur·euses avant de redescendre à 260 000 en 2024 (www.gov-online.go.jp/hlj/en/august_2024/august_2024-06.html). Le Festival italien de Bordighera est lancé en 1965 puis relocalisé à Lucca l’année suivante. Largement derrière Angoulême à partir des années 1980, il le dépasse au nombre de visiteur·euses à partir des années 2010 et concurrence désormais le Comiket – pour l’édition 2022, les organisateurices annoncent un record de fréquentation de 375 000 entrées (www.luccaindiretta.it/dalla-citta/2022/10/29/lucca-comics-and-games-e-record-dei-record-raggiunta-quota-300mila-biglietti-venduti/317975). Rebaptisé, depuis 1996, Lucca Comics & Games sa programmation concerne désormais, outre la bande dessinée, le cinéma d’animation, les jeux, les jeux vidéo, la fantasy et la science-fiction. Le Comic-Con de San Diego en Californie a connu une évolution similaire. Centré à l’origine, en 1970, sur la bande dessinée, il tend à englober l’ensemble des productions que l’on affuble du terme fourre-tout de « pop culture ». Les trois dernières éditions affichent des chiffres allant de 135 à 150 000 visiteur·euses ce qui le place juste devant ou juste après le FIBD d’Angoulême (ww.hollywoodreporter.com/movies/movie-news/comic-con-still-hit-actors-strike-1235544055). La communication de ce dernier a longtemps fait état de 200 000 visiteur·euses. Toutefois, les bénéfices de la billetterie tels que calculés par la Chambre régionale des comptes de Nouvelle Aquitaine semblent laisser penser que sa fréquentation est bien moindre (www.blast-info.fr/articles/2022/angouleme-en-bande-organisee-0rE5Un2pSDSlUSdMtpLm9g). D’autre part, le FIBD n’annonce plus de statistiques de fréquentation depuis 2022.
[3] Selon son propre site web (www.citebd.org), « la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image est un établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial créé et financé par le département de la Charente, le ministère de la Culture, la ville d’Angoulême et la région Nouvelle Aquitaine. »
[4] Un nombre désormais est porté à sept. Le 20 mai 2025, on apprend le remplacement de la directrice artistique Marguerite Demoëte qui était en place depuis deux ans.
[5] Au sein du « Grand Jury » chargé d’attribuer les principales récompenses, elles étaient cinq sur sept en 2023, quatre sur sept en 2024 et trois sur sept en 2025. En outre depuis 2023, il n’est plus présidé par un auteur ou une autrice de bande dessinée – le réalisateur Alexandre Astier en 2023, le musicien membre de Daft Punk Thomas Bangalter en 2024, la réalisatrice et comédienne Zabou Breitman en 2025 –, rompant ainsi avec une tradition établie depuis 1981.
[6] D’après Service-Public.fr. Le site officiel de l’administration française : lannuaire.service-public.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/42b801dd-089e-4a09-bd48-b884a33c3e81.
[7] Une article de Xavier Monnier publié sur le site Blast Info offre une analyse plus détaillée des manquements dénoncés par le rapport de la CRC : www.blast-info.fr/articles/2022/angouleme-en-bande-organisee-0rE5Un2pSDSlUSdMtpLm9g.
[8] À l’heure où s’écrivent ces lignes, les élections municipales de 2026 se dessinent comme un affrontement entre la liste de centre-droit du maire sortant Xavier Bonnefond et la liste de centre-gauche menée par Patrick Mardikian – fils de Jean Mardikian, fondateur du FIBD.
[9] staa-cnt-so.org
[10] ligue.auteurs.pro
[12] Fin 2022, le FIBD annonce, au moment de dévoiler la programmation de sa prochaine édition, la tenue d’une exposition dédiée à Bastien Viviès. Ce projet suscite de vives protestations de la part d’actrices et d’acteurs du milieu qui, outre l’image de la femme véhiculée dans ses bandes dessinées et les représentations pédopornographiques qu’elles contiennent, dénoncent les propos ouvertement sexistes tenus à plusieurs reprises par l’auteur, en particulier les insultes et appels à la violence lancés contre la dessinatrice-blogueuse Emma. Si l’organisation affirme d’abord qu’elle ne cèdera pas à la pression, elle annonce in fine la déprogrammation de l’exposition en raison des risques que celle-ci ferait peser sur la sécurité de la manifestation. Au-delà du cas précis de Bastien Vivès, c’est toute la question du sexisme inhérent au milieu de la bande dessinée que cette affaire a mis en débat.