Budget fédéral : un coup dur pour les auteurices et un système à bout de souffle

Budget fédéral : un coup dur pour les auteurices et un système à bout de souffle


Suppression de la déduction forfaitaire, limitation du cumul allocations–droits d’auteur, hausse de la TVA sur le « divertissement » : les mesures budgétaires du gouvernement Arizona tombent sans cohérence, sans concertation et fragilisent encore les travailleur·euses des arts.

Droits d’auteur : la précarité organisée

Les rémunérations en droits d’auteur et voisins sont considérées comme des revenus mobiliers et soumises à un taux d’imposition particulier de 15 %, elles sont également exonérées de cotisations à la sécurité sociale et n’ouvrent donc aucun droit social aux auteurices.

Par ailleurs, depuis 2008, un régime forfaitaire permet de déduire des frais professionnels, donc sans justificatif, à hauteur de 50 % sur une première tranche de 20 100 € et de 25 % sur une deuxième tranche de 40 190 € (revenus indexés 2025).

Ce dispositif présente 2 avantages économiques pour les bénéficiaires :

  • Le taux d’imposition est réduit sur les 2 première tranches [1] ;
  • Le (quasi-)doublement du seuil de cumul des droits d’auteur et voisins sans perte d’allocations du travail des arts, puisque seule la partie imposable est prise en compte [2].

Or, le gouvernement fédéral a prévu dans son accord budgétaire de supprimer totalement la déduction forfaitaire appliquée aux droits d’auteur à partir de 2026, seuls des frais réellement justifiés pourrait être déduits fiscalement.

Sous la pression du lobbying du secteur informatique, la coalition Arizona a réintroduit la possibilité pour celui-ci de déclarer en droits d’auteur une partie des rémunérations liées au développement de logiciels. Pour compenser les pertes fiscales engendrées par ce retour dans le régime, l’État a choisi de supprimer les frais forfaitaires. Il s’agit, évidemment, d’offrir une niche d’évasion fiscale à un secteur largement commercial, ce qui n’a aucun rapport avec la protection des œuvres et du travail de création.

Le gouvernement argumente que la suppression du régime forfaitaire rapporterait 30 millions d’euros par an aux finances de l’État. Or ce « gain » est insignifiant par rapport aux besoins budgétaires, il sera largement neutralisé par le cadeau fiscal concédé au secteur informatique et affectera principalement les artistes-auteurices, déjà précaires, en épargnant toute contribution supplémentaire aux principaux·ales détenteurices de patrimoine et bénéficiaires de recettes dans les filières artistiques : employeur·euses, exploitant·es d’œuvres, ayant droits par héritage, etc.

Un système incohérent

Ce choix politique, mais également la position d’une grande partie du secteur culturel qui tente de faire barrage sur des légitimations bancales, met de nouveau en lumière les absurdes contradictions qui régissent la rémunération et la sécurité sociale des artistes-auteurices en Belgique :

  • Si les droits d’auteur patrimoniaux sont bien des revenus mobiliers, issus de l’exploitation d’une propriété intellectuelle/création et non d’un travail, qu’est-ce qui justifierait un défraiement professionnel ?
  • S’ils rémunèrent un travail, en amont de la création ou en aval lors de son exploitation, et qu’ils génèrent des frais professionnels, pourquoi ne garantissent-ils pas une couverture sociale aux auteurices ?

Par ailleurs, les travailleur·euses des arts ont très majoritairement des revenus faibles et aléatoires, mais qu’iels puissent percevoir une allocation mensuelle, financée par la sécurité sociale, tout en pouvant cumuler plus de 20 000 € annuel de rémunération en droits d’auteur et voisins, exemptés de cotisations solidaires, participe d’une incohérence que nous ne cautionnons pas.

Pour autant, ce n’est pas par souci d’équité sociale que le gouvernement Arizona a pris cette décision, il n’en connaît certainement pas les contours et sa politique semble obéir aux lobbys d’intérêts financiers, bien plus qu’à une quelconque recherche d’équilibre social et fiscal.

Ainsi, l’ensemble des travailleur·euses des arts devra payer plus d’impôts et celleux sous le régime des arts (« statut »), rembourser les allocations perçues dès l’instant où iels dépassent un plafond, désormais réduit de moitié pour les droits d’auteur et voisins.

C’est la double peine en conséquence :

  • une limitation drastique des revenus qui permettaient, les « bonnes » années, de se constituer une réserve (pour les années de faibles revenus, la fin de carrière, etc.)
  • aucune valorisation supplémentaire pour la couverture sociale (ouverture et maintien du droit aux allocations du travail des arts, pension, etc.)

Les auteurices de l’édition, dont il faut sans cesse rappeler que le travail de création et de production est rémunéré exclusivement par des avances sur les droits d’auteur et/ou sur le faible pourcentage qu’iels touchent sur les ventes des livres, sont parmi les très grandes victimes de cette mesure à l’emporte-pièce.

Au final, rien n’est rendu plus juste, tout devient plus fragile.

TVA : une mesure sans fondement

S’ajoute une hausse de la TVA de 6 % à 12 % sur les activités qualifiées de « divertissement ».

Problème majeur : aucune définition juridique ne permet de distinguer divertissement et culture. Comment taxer différemment un festival indépendant, un blockbuster, un concert classique ou une performance slam ? Rien ne permet de tracer cette frontière.

Taxer différemment 2 œuvres sans grille claire est non seulement dangereux pour des opérateurices déjà fragiles, mais parfaitement incohérent. Cela risque d’augmenter les prix pour le public, sans améliorer la situation des artistes et travailleur·euse des arts.

Le livre semble toutefois échapper à cette augmentation de TVA.

Repenser entièrement le système : une urgence

Ces mesures tombent alors que les Sociétés de gestion collective? défendent des exceptions sur les droits qu’elles co-gèrent avec les exploitant·es d’œuvres, que le gouvernement cherche à faire rapidement des économies (toujours au détriment des travailleur·euses), que les aides publiques à la Culture sont largement rognées et que les mécanismes de soutien au secteur ne sont toujours pas repensés. Rien n’est encore acté tant qu’aucun texte n’a été adopté, mais l’orientation est claire : « simplifier » en ajoutant de la précarité, sans jamais traiter le cœur du problème.

Or ce cœur du problème est connu pour les artistes-auteurices : la majorité vivent de revenus irréguliers, insuffisants et qui ne permettent pas de cotiser. Supprimer un outil qui atténuait partiellement cette réalité, tout en empêchant d’accéder aux droits sociaux avec ces mêmes revenus, ne peut qu’aggraver la précarité.

Nous le répétons depuis longtemps : il faut sortir de la logique bricolée du cumul allocations chômage + droits d’auteurs non cotisants + fiscalité mobilière. Ce système ne protège pas les artistes-auteurices, ne reconnaît pas leur travail et ne correspond pas aux réalités professionnelles. Il les maintient, volontairement, comme éternelle variable d’ajustement de la filière des Arts et de la Culture.

Nous défendons un modèle dans lequel :

  • les exploitant·es d’œuvres participent au financement de la sécurité sociale ;
  • les artistes-auteurices cotisent solidairement, de manière juste, proportionnelle et adaptée ;
  • la protection sociale dépend de l’ensemble des revenus ;
  • la rémunération artistique est reconnue comme un revenu de travail, pas comme une rente.

C’est le seul moyen de garantir un accès réel à une sécurité sociale protectrice, à la continuité des revenus et de sortir du cercle vicieux de la précarité.

Conclusion

Les mesures annoncées ne réforment rien : elles bricolent. Elles ne protègent pas : elles fragilisent. Elles ne réparent pas : elles déplacent les problèmes en les aggravant. Pour que les auteurices puissent travailler, créer et vivre dignement, il ne faut pas un ajustement fiscal de plus, mais une refonte complète du système de rémunération et de protection sociale.

ABDIL continuera de porter cette exigence.

Notes

[17,5 % sur la première tranche, puis 11,25 % sur la deuxième tranche

[2Le plafond pour l’année 2025 est de 11 060 € par an, il passe à 21 448 € pour les revenus en droits d’auteur et/ou voisins.