Lettre au Mouvement Réformateur
ABDIL a co-rédigé une lettre ouverte au MR, signée par 10 autres fédérations professionnelles des arts et envoyée ce mercredi 29 mai 2024 au dirigeant·es du parti.
Bruxelles, le 28 mai 2024,
À l’attention de Monsieur George-Louis Bouchez et des membres du Mouvement réformateur,
Concerne : Limitation des allocations de chômage à deux ans – programme du MR
En 2020, la crise liée à la pandémie de Coronavirus a touché de plein fouet tous les secteurs d’activités, à fortiori ceux considérés « non essentiels », comme le secteur culturel.
Cette crise a également mis en évidence la situation particulièrement précaire des travailleur.euse.s des arts : intermittence de revenus, engagement dans des contrats de très courte durée, travail invisibilisé, faiblesse de la rémunération du travail, ...
Les partis composant le Gouvernement fédéral ont, enfin, pris conscience de la nécessité de réformer le mal nommé « statut dit de l’artiste » et d’adapter les dispositifs spécifiques dans le régime général de la sécurité sociale afin de permettre aux travailleur·euses des arts de poursuivre leurs activités, au service d’un accès aux droits culturels de l’ensemble des publics et d’un secteur économiquement dynamique.
L’objectif partagé par la coalition annonçait la construction d’un véritable « statut du travail des arts », prenant en compte les spécificités des professions du secteur, couvrant l’ensemble du périmètre des métiers des arts et assurant des moyens de subsistance suffisants aux bénéficiaires.
Trois Ministres se sont engagés dans cette réforme : Pierre-Yves Dermagne (PS), Vice-Premier ministre, ministre de l’Économie et du Travail, Franck Vandenbroucke (VOORUIT), ministre des Affaires sociales et David Clarinval (MR), ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des PME et de l’Agriculture.
Les Fédérations représentatives des travailleur·euse·s du secteur ont été invitées à un long processus de réflexion, le WITA. Au terme de celui-ci et après une négociation gouvernementale, qui a écorné défavorablement pour les bénéficiaire le projet initial [1], les nouveaux dispositifs sont entrés totalement en vigueur le 1er janvier 2024, avec la mise en place de la Commission du travail des arts.
Comme tout citoyen et citoyenne, les travailleur.euse.s des Arts pouvaient raisonnablement s’attendre à ce qu’une réelle sécurité juridique soit attachée à ces aménagements de protection sociale, à peine adoptés. Le Mouvement Réformateur, comme l’ensemble des partis, de la coalition s’y était engagé.
Or, désormais, votre parti affiche sa volonté de remettre en cause la réforme et de réduire drastiquement la couverture sociale des travailleur·euse·s !
En effet, le programme du MR propose [2] de limiter les allocations de chômage à deux ans, et, selon les calculs du Bureau du plan, cette mesure concerne également les travailleur.euse.s des arts [3].
Un avenir meilleur ?
(titre de votre programme)
Vraiment ? Pour les citoyens et citoyennes belges en général et pour les travailleur.euse.s des Arts en particulier ?
Les Fédérations signataires en doutent fortement et ne peuvent que dénoncer votre attaque contre les travailleur·euse·s les plus précaires, bien au-delà du secteur des arts.
Car, d’une manière générale rien ne démontre l’impact réellement positif sur l’emploi d’une limitation dans le temps des allocations de chômage.
Au contraire, cette réduction des droits risque d’augmenter les emplois précaires, mal rémunérés, et, inévitablement, d’entrainer un report vers les aides social du CPAS, aggravant la paupérisation des plus fragiles.
Les coûts pour la société et pour les contribuables seraient donc supérieurs à la situation actuelle [4].
Des études, de l’ONEM notamment, attestent qu’on ne peut faire de lien entre le caractère illimité de la durée de versement des allocations de chômage et le taux de chômage [5].
Stigmatiser les allocataires de l’assurance chômage ne diminuera donc pas le nombre de travailleur·euses sans emploi.
Le coût des allocations de chômage est par ailleurs en baisse constante depuis au moins 10 ans et ne représentait, en 2022, que 7,2 % du budget global de l’ONSS?. À titre de comparaison les soins de santé représentent 34 % et les indemnités pour maladie et invalidité 14,4 % [6].
Le mal-être au travail et les maladies professionnelles coûtent donc bien plus cher que le chômage.
Comme le pointe L’OCDE [7], l’économie d’un pays a besoin d’une solidarité forte et d’un système de protection social solide pour faire face aux conséquences de crises successives. Or, les crises (COVID, énergétique...) se succèdent et appauvrissent indéniablement les citoyens et citoyennes les plus vulnérables.
Les attaques contre les droits sociaux des travailleur·euse·s sont donc économiquement contre-productifs.
La limitation des allocations de chômage, que défendent de trop nombreux partis à l’approche des élections, ne semble donc pas avoir pour objectif réel de favoriser des emplois dignes et décents, ni même de faire baisser significativement les dépenses de l’ONSS mais bien de stigmatiser certaines catégories de travailleur·euse·s en les désignant comme boucs émissaires.
C’est, en outre, une proposition conservatrice, totalement déconnectée de l’évolution du monde du travail et de la démographie belge [8] dont on peut s’étonner venant du MR.
Concernant les travailleur·euse·s des arts, il est encore plus particulièrement déloyal de remettre en cause une réforme à laquelle vous avez participé et que vous avez validée, en proposant de la remplacer par un dispositif bancal de « Revenu universel de base des artistes et des techniciens » (RBAT) [9].
Ce projet de RBAT, que vous entendez sortir de la sécurité sociale sans aucune alternative de financement crédible, n’a jamais été soutenu par le secteur des arts et la majorité des travailleur·euse·s n’en est absolument pas dupe.
En conséquence et pour les raisons évoquées ci-dessus, les fédérations signataires tiennent à vous informer qu’elles entreprendront toutes les actions nécessaires au maintien de la solidarité au sens large et à la préservation de leur droits sociaux.
Les fédérations professionnelles des arts signataires
- ABDIL – Fédération des Auteurices de la Bande dessinée et de l’Illustration
- AIRES LIBRES – Fédération des arts de la rue, des arts du cirque et des arts forains
- ARFF – Association des réalisateurs et réalisatrices francophones
- ARTISTS UNITED – association de défense des intérêts des travailleur·euses du secteur culturel
- CTEJ – Chambre des Théâtres pour l’Enfance et Jeunesse
- CCTA – Chambre des compagnies de théâtre pour adultes
- laFAP – Fédération des arts plastiques
- FTA – Fédération du Théâtre-Action
- FACIR – Fédération des Auteur·rices, Compositeur·rices et Interprètes Réuni·es
- RAC – Réseau des Arts Chorégraphiques
- LES LUNDIS D’HORTENSE – Association des musicien·nes de jazz belge
Notes
[1] Notamment via la réduction du périmètre des bénéficiaires, l’art 188 de l’arrêté chômage, etc.
[2] Point 1.4.1.3 du programme du MR
[4] Ce sont principalement les cotisations sociales versées par les employeurs qui couvrent l’assurance chômage. Un report, inévitable, vers le revenu d’intégration social du CPAS ne feraient que déplacer la dépense de l’Etat fédéral vers les communes et augmenter la pression fiscale sur les citoyens et citoyennes.
[5] https://www.onem.be/file/cc73d96153bbd5448a56f19d925d05b1379c7f21/1c7e69868c2d397ebf3caecc7259f96cf08e29b7/25-05-2023_spotlight_werkloosheidsduur_fr.pdf
[7] Revue de l’OCDE sur le développement 2008, VOL 94 – ISSN : 1992-0490 - @OCDE 2009
[8] La très grande majorité des personnes inactives en Belgique ne sont pas aux chômage comme le
démontre cet article : https://www.rtbf.be/article/meme-en-activant-tous-les-chomeurs-il-sera-
probablement-impossible-d-atteindre-80-de-taux-demploi-en-2030-11174448
[9] Point 5.5.2.2 du programme du MR