Smart : Société qui Méprise les Artistes ?

Smart : Société qui Méprise les Artistes ?


Ce lundi 04 mars, les membres de Smart déclarant leurs activités salariées sous article 1 bis, ont reçu un courriel les informant brutalement que l’entreprise suspendait dans les 48 heures la possibilité de réaliser des contrats dans ce cadre.

L’entreprise « partagée », qui prétend fonctionner de manière « coopérative » et « solidaire », n’a ni consulté ni informé préalablement les membres sociétaires concerné·es.

Les éventuels problèmes que pourraient rencontrer les artistes qui utilisent des contrats dits 1bis, sont balayés par l’assertion qu’il suffirait :

(...) d’opter pour un contrat de travail. Cela ne change absolument rien en matière de paie, de fiscalité, de documents sociaux (mis à part une mention sur le C4), ni en regard du chômage.

C’est faux.

Être rémunéré·e par la vente d’une œuvre ou pour une performance artistique, ce n’est pas la même chose que de travailler au cachet pour un commanditaire. L’art.1 bis de la loi du 27 juin 1969 reconnait cette distinction et permet de déclarer en toute légalité des revenus d’activités artistiques à l’ONSS? , même en l’absence d’éléments essentiels pour lier le donneur d’ordre et le / la travailleur·euse par un contrat de travail.

Cet article de loi est également la pierre angulaire du droit à un régime de couverture sociale complet pour les artistes-auteurices qui travaillent, très majoritairement, en dehors d’un quelconque régime salarial.

Les risques de sanctions liées à un usage de contrats inadaptés (contrat de travail artistique au cachet ou à la durée) pour des activités qui devraient être déclarées sous art.1 bis sont peut-être actuellement minimes (?), mais personne ne peut assurer qu’elles sont inexistantes en cas de contrôle !

Smart qui se définit comme employeur ne l’est que d’un point de vue administratif et fiscal. Notamment : en l’absence totale de lien de subordination avec le donneur d’ordre réel (celui / celle qui paie la facture) ou d’une très grande désynchronisation entre le moment de la perception des revenus et le temps effectif de l’activité (une œuvre peut être achetée des années après sa réalisation), le / la travailleur·euse se situe hors du cadre d’un contrat de travail salarié et les revenus d’une activité artistique devraient être déclarés via l’art.1 bis.

Par ailleurs, Smart, qui a une position largement dominante en tant qu’intermédiaire dans le secteur des arts, entérine un nouveau recul dans la reconnaissance des pratiques artistiques professionnelles en s’appuyant sur des arguments pour le moins discutables.

Smart légitime son choix par l’évolution récente de la législation concernant le travail des arts :

Les conditions pour utiliser ce type de contrat sont à présent plus restrictives suite à la réforme du "statut des artistes" (une attestation du travail des arts? en cours de validité est notamment nécessaire).

C’est également faux.

Depuis 2014, il est nécessaire de détenir un Visa artiste pour pouvoir déclarer des revenus via l’art. 1 bis. Les Attestations du travail des arts remplacent le Visa artiste. Le dispositif a changé, mais le risque est le même depuis 10 ans si des contrats 1bis sont utilisés sans autorisation valide. Il faut également relever que tou·tes les détenteur·ices d’un Visa artiste en cours de validité au 31 décembre 2023 l’ont vu converti automatiquement en Attestation du travail des arts ordinaire et peuvent donc continuer à utiliser des contrats dits « 1bis ».

L’entreprise explique encore :

les contrats 1bis représentent aujourd’hui moins de 2% des engagements au sein de Productions Associées. Dès lors, maintenir ce type de contrat dans notre écosystème n’est plus justifié (...)

C’est l’argument qui nous semble le plus vraisemblablement à l’origine de ce choix.

Le projet Smart

Depuis des années, Smart semble instrumentaliser les travailleur·euses qui utilisent ses services pour renforcer son lobbying idéologique et a l’air de vouloir s’imposer sur le très juteux marché du portage salarial dans tous les secteurs d’activités possibles.

Ainsi, alors qu’un service d’accompagnement honnête et adapté aurait dû informer les membres sociétaires quand leurs activités professionnelles doivent être déclarées à l’ONSS via l’art. 1bis?, la plateforme numérique de Smart les oriente, par défaut, vers des modèles de contrats artistiques maison, favorisant le risque d’usage erroné [1].

La stratégie s’est révélée efficace. Désormais, les artistes membres de Smart utilisant des contrats 1bis, sont réduit·es à peau de chagrin et ne représentent qu’une part de profit anecdotique pour l’entreprise. Il n’y a donc plus d’intérêt à développer des services pour les accompagner.

C’est assez cynique. Smart (acronyme de Société Mutuelle pour Artistes) s’est essentiellement constituée en proposant aux travailleur·euses des arts un service de conversion de leurs revenus, via l’art. 1 bis. Elle a financé son expansion en prélevant une part croissante sur les revenus du travail des artistes afin d’étendre son business modèle à de nombreux autres secteurs [2].

Un contexte plus difficile

Dans un article développant sa position politique, Smart dénonce le durcissement progressif de l’usage du 1bis par les réformes de 2014 (Visa artiste obligatoire) et de 2022 (Attestation du travail des arts obligatoire). L’analyse est juste.

Mais là encore, Smart détourne le propos à fin de justifier sa stratégie entrepreneuriale, écornant au passage les « partenaires sociaux » (syndicats) ainsi que le « terrain » (les fédérations professionnelles ?), qui ne se seraient pas « élevés contre cette dégradation insensée ».

D’une part, Smart semble oublier que de nombreu·x·ses artistes et leurs représentant·es ont dénoncé ces durcissements successifs d’accès au dispositif de l’art.1 bis.

D’autre part, il est assez indécent que Smart, un employeur et ses cadres grassement rémunérés, se posent en juges et moralistes des actions du « terrain », représenté essentiellement par des travailleur·euses militant·es, bien souvent précaires et qui alimentent leur entreprise.

Smart a également beau jeu de critiquer - à juste titre également - une approche politique libérale, tout en occultant la responsabilité de sa propre boulimie à promouvoir l’auto-entrepreneuriat salarié, dans tous les secteurs, et une extension inconsidérée de l’usage des contrats sous art.1 bis qui a largement alimenté les partisans du durcissement de la législation lors des différentes réformes.

Et maintenant ?

Nous estimons que Smart a largement les moyens de corriger le tir. Elle a la responsabilité de prendre en compte les besoins réels des travailleur·euses des arts dans les nouveaux dispositifs législatifs en développant les outils ad hoc pour un cadre de travail réellement pérenne.

Il serait certainement sain que les travailleur·euses des arts se détournent d’une entreprise devenue bien trop hégémonique, qui tente d’imposer ses propres règles sociales et ne défend plus leurs intérêts depuis longtemps. Nous n’en ferons pas la promotion ici, mais des services alternatifs existent.

Le gouvernement fédéral a également la responsabilité de permettre aux travailleur·euses des arts de déclarer leurs activités en toute légalité dans le cadre de l’art. 1bis et de ses adaptations suite aux différentes réformes. Alors que les entreprises privées font défaut ou agissent à leur gré, un service public assurant le traitement des contrats semble plus que jamais nécessaire.

Notes

[1Notamment l’usage de contrats à la durée en l’absence de tout lien de subordination.

[2À l’origine Smart prélevait 4% du montant facturé. Sur un principe de mutualisation, cette participation devait couvrir les frais administratifs nécessaires à l’activité de secrétariat social. Actuellement, les frais de Smart s’élèvent à près de 12% du montant total facturé HTVA (6,5% sur la facturation + 5,5% de « part mutualisée » sur le « budget salarial »), alors que le service s’est largement virtualisé. Chacun des « membres sociétaires » doit également s’acquitter de 30 € annuel pour acheter une part de la « coopérative » et utiliser les services de l’entreprise. À noter que 6,5% sont également prélevés sur des revenus qui ne nécessitent quasiment aucun suivi administratif, tels les droits d’auteur et les droits voisins.

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