Nos rémunérations et le projet de réforme du statut
Ce document présente l’analyse et les propositions des membres élu·es du comité d’ABDIL.
N. B. Bien qu’ABDIL définisse ses membres comme auteurices et accorde une grande importance à rédiger ses textes sous forme inclusive, nous avons choisi pour cette fois d’y déroger. Ceci, à seule fin de faciliter la compréhension d’une matière déjà très complexe et aussi car les notions législatives et administratives auxquelles il est fait référence n’intègrent pas encore l’inclusivité dans leur définition (« droits d’auteur », notamment).
1. La rémunération des auteurices de bandes dessinées, d’illustrations et de livres jeunesse
Dans le cadre d’un contrat d’édition, le travail de création est, partiellement rémunéré par un à-valoir. C’est une avance sur les droits d’auteur (soit le pourcentage des ventes) qui sont concédés à l’auteurice. Si les ventes excèdent le montant de cette avance, l’auteurice perçoit alors sa part sur chaque exemplaire vendu [1]. L’à-valoir est (généralement) définitivement acquis, même si les ventes se révèlent inférieures au montant total de l’avance. Le contrat d’édition fixe également les modalités d’exploitation de l’œuvre et l’étendue de la cession des droits.
Au-delà de leur pratique dans l’édition, les auteurices de bandes dessinées, d’illustrations et de livres jeunesse ont des activités rémunérées qui sont souvent polymorphes.
Interventions publiques, animations pédagogiques, travaux de commande, emploi complémentaire dans des secteurs divers, etc. sont le lot de la très grande majorité.
Des droits d’auteur sont également perçus par l’état pour l’usage des œuvres dans le cadre de la copie privée et de la reprographie. Ces droits sont gérés collectivement et redistribués aux auteurices par des société de gestion collective [2].
Enfin, il existe certaines bourses (privées ou publiques) d’aide aux projets. Cela concerne, ponctuellement, une minorité d’auteurices. Hormis de très rares exceptions, ces aides ne sont pas structurantes sur une carrière en FWB?. Les budgets publics alloués à la Bande dessinée et au livre jeunesse sont, de très loin, les plus faibles de tout le secteur culturel francophone belge [3].
- du travail d’auteurice dans l’édition, rémunéré exclusivement via des droits d’auteur,
- du travail d’auteurice dans d’autres secteurs que l’édition, rémunéré en droits d’auteur et/ou en prestations artistiques,
- du travail péri-artistique (ateliers, interventions publiques, etc.) ou dans un tout autre secteur d’activité, rémunéré en salaires ou par d’autre type de prestations (revenus professionnels de travailleur indépendant, par exemple),
- des droits d’auteurs perçus après la diffusion d’une œuvre et correspondant à un pourcentage sur les ventes de cette œuvre, sur son adaptation (théâtrale, audiovisuelle, etc.), ou a une contrepartie pour l’utilisation publique (droits gérés collectivement).
- Bien que ce soit l’auteurice qui cède les droits sur son œuvre, le rapport de force est très largement en faveur des diffuseurs (éditeurs ou autres) qui définissent le montant de l’à-valoir, la rémunération proportionnelle, les conditions d’exploitation et l’étendue de la cession des droits. C’est un peu comme si le locataire d’un appartement fixait le montant de son loyer, les conditions et la durée de son bail.
- Les auteurices travaillent fréquemment sur commande pour des éditeurs, mais sont, malgré tout, rémunérés en droit d’auteur, car c’est la pratique du secteur.
- Pour la majorité des auteurices, c’est une précarité, largement partagée, plus qu’un choix, qui impose la poly-activité.
- Il n’y a pas de profil type d’auteurice, néanmoins, celles et ceux qui se destinent à la professionnalisation tendent, très logiquement, à privilégier la pratique éditoriale, qui est le socle de leur démarche. Les droits d’auteur perçus dans le cadre d’un contrat d’édition sont donc la base de leur rémunération professionnelle.
- En bande dessinée, très peu d’auteurices perçoivent significativement des droits sur les ventes, au-delà des à-valoir.
- En Littérature jeunesse, les à-valoir sont souvent faibles, les auteurices perçoivent donc plus rapidement leurs droits sur les ventes, mais le pourcentage qui leur est concédé est très bas.
- La grande majorité des auteurices perçoivent également des revenus très faibles issus de la redistribution des droits gérés collectivement [4].
- La précarité endémique des auteurices professionnel.le.s est largement constatée et les mécanismes de financement (privé et public) sont insuffisants pour assurer une rémunération proportionnelle au travail fourni.
2. Les droits d’auteur
Tel que cela a été défini dans la loi [5] de manière cohérente avec les conventions internationales et la notion de propriété intellectuelle, les revenus résultants de cessions ou de concessions de droits d’auteur sont considérés comme des revenus mobiliers et dépendent donc de ce régime fiscal.
Pourtant, pour les auteurices, les droits d’auteur ne peuvent pas être considérés au même titre que l’exploitation d’une propriété foncière ou les dividendes d’un placement financier. Ils sont avant tout un système de rétribution de leur travail.
D’ailleurs, le législateur distingue les droits d’auteur des autres revenus mobiliers et quelques différences importantes sont à signaler :
- Au-delà d’un plafond annuel [6] les droits d’auteur perçus sont considérés comme des revenus professionnels et tombent sous ce régime fiscal, majorant également les cotisations des travailleurs indépendants,
- Le bénéfice de leur exploitation est limité dans le temps et ne peut être légué indéfiniment.
- Le principe de (con)cession des droits d’auteur se rapproche bien de celui de la location d’une propriété. Mais on ne peut pas considérer que les auteurices soient des propriétaires vivant de leur rente, plutôt que des travailleurs qui doivent être rémunérés !
- Certains droits d’auteur (adaptations, copie privée, reprographie, etc.) sont bien une rétribution pour l’exploitation différée d’une œuvre. Mais on ne peut y associer pleinement les droits versés dans le cadre d’un contrat d’édition. Ils sont la seule rémunération de l’auteurice pour le temps de travail consacré à la création et à la réalisation.
3. Le statut des auteurices de bandes dessinées, d’illustrations et de livre jeunesse
En Belgique, les artistes, dont les auteurices du secteur littéraire, peuvent choisir entre deux statuts : salarié ou indépendant. La loi précise que « par défaut » les artistes sont assujettis au régime des salariés. Le statut d’indépendant devrait donc toujours pouvoir être choisi et non subi.
Le cas du salarié
En tant que salarié, un·e auteurice peut convertir ses prestations artistiques en salaire [7] et cotisera à la sécurité sociale des salariés (ONSS?).
Les cotisations sociales sont prélevées directement sur le salaire, s’il n’y a pas de revenus, il n’y a pas de cotisation. Les droits d’auteur, ne pouvant être convertis en salaire, ils ne sont pas soumis à cotisation et n’ouvrent donc aucun droit social.
Un·e auteurice qui cotise à la sécurité sociale des salariés (ONSS) peut ouvrir ses droits à l’assurance chômage, dès l’instant où est atteint le nombre de jours de travail requis ou dès l’instant où est cotisé son équivalent en prestations artistiques.
L’assurance chômage intègre des aménagements spécifiques pour les artistes et les techniciens des secteurs artistiques (le fameux « statut d’artiste »). Sous certaines conditions, ils peuvent renouveler annuellement leur droit à des allocations de première période.
Le cas de l’indépendant
En tant qu’indépendant, un·e auteurice cotisera à la sécurité sociale des indépendants (INASTI). Une cotisation trimestrielle minimale est obligatoire même s’il n’y a pas eu de revenus.
Le montant des cotisations varie, il est calculé sur l’ensemble des revenus professionnels. Les droits d’auteurs (puisque ce sont des revenus mobiliers) n’entrent pas dans ce calcul tant qu’ils sont inférieurs au plafond de 62.550€ (2021).
Un·e auteurice, assujetti·e à la sécurité sociale des indépendants (INASTI) ne bénéficie pas de l’assurance chômage, quel que soit le montant cotisé.
La plupart des auteurices se trouvent coincés entre ces deux statuts :
- D’un côté, le régime des indépendants qui est inadapté à la réalité de la majorité des auteurices. Les revenus des ces derniers sont trop faibles et trop discontinus pour supporter les charges fixes de ce régime tout en leur garantissant une rémunération décente. En outre, à la différence des autres travailleurs indépendants, ce sont très rarement les auteurices qui fixent le prix de leur travail. L’absence d’assurance chômage représente un risque constant de précarisation. D’autant plus qu’une carrière d’auteurice ne connaît pas une progression constante et peut être très inégale, d’une année sur l’autre.
- D’autre part, le régime des salariés, qui, avec les aménagements spécifiques pour les artistes, est bien plus viable et sécurisant. Néanmoins, les montants nécessaires pour ouvrir les droits à l’assurance chômage et au régime dérogatoire « artiste » sont largement supérieurs aux revenus de la plupart des auteurices. De plus, les droits d’auteur ne peuvent être valorisés auprès de la sécurité sociale (ONSS) pour l’obtention du régime, sauf à passer par des bricolages administratifs, dépendants de l’accord et de la signature des éditeurs et souvent, de la coopérative Smart, en position de quasi-monopole sur ce type de service. Les coûts sont alors prohibitifs et injustes pour l’auteurice qui prend à sa charge les cotisations patronales.
- Beaucoup d’auteurices n’ont donc pas accès aux allocations de chômage, et encore moins au « statut d’artiste », et ne peuvent pas non plus s’établir comme indépendant. Ils tentent de s’organiser en jonglant entre différents types de revenus et les mécanismes de portage salarial. Leur précarité n’en est qu’accentuée.
- Les rares qui accèdent au régime dérogatoire de l’assurance chômage sont soumis à des systèmes de contrôles inadaptés, car ils se référent aux relations de travail classiques du salariat.
- Certains optent pour le statut d’indépendant, mais bien souvent, plus par défaut que par choix.
4. La réforme du statut dit de « l’artiste »
Courant 2020, dans le contexte de la crise COVID, le gouvernement belge a pris conscience de la très grande précarité des travailleurs du secteur artistique. Répondant à la demande des fédérations professionnelles, la déclaration de politique gouvernementale a intégré, dans ses objectifs, une réforme en profondeur des statuts des travailleurs des arts.
La première phase de la réforme concerne principalement le statut des travailleurs salariés et plus spécifiquement l’assurance chômage.
Le processus Working in the Arts (WITA) a été mis en place pour piloter cette réforme. Le WITA se compose d’une plateforme de consultation publique et d’un groupe de travail, auquel ABDIL a participé [8]. Ce processus a donné naissance à une proposition, rédigée par les représentants des cabinets [9] concernés et validée par la majorité du groupe de travail.
Cette proposition va maintenant être rediscutée, notamment avec les syndicats [10] et fédérations d’employeurs, qui n’ont pas participé au premier groupe de travail. Le texte final devra ensuite faire l’objet d’un accord au sein de la coalition gouvernementale.
Les syndicats et fédérations d’employeurs, qui sont les interlocuteurs du gouvernement dans la concertation sociale, ont remis leur analyse, via le Conseil National du Travail (CNT) où ils siègent.
Ils ne sont pas d’accord entre eux : les employeurs rejettent la plupart des évolutions proposés, les syndicats soutiennent certains points et en critiquent d’autres. Une partie important de l’avis du CNT traduit surtout une profonde méconnaissance de la réalité du travail artistique, de ses disciplines et du financement du secteur.
Ce que propose la réforme, concernant l’assurance chômage
Attention !! Cette partie de l’analyse, rédigée en janvier 2022, s’appuie sur le projet de la note WITA. Depuis mai 2022, le gouvernement est arrivé à un premier accord dont le marchandage politique modifie considérablement et très négativement ce qui était envisagé.
La proposition de réforme modifie le principe d’accès au régime du chômage pour les travailleurs des arts. Ainsi, dès l’instant où un travailleur est reconnu comme actif dans le secteur artistique, le droit à l’assurance chômage n’est plus calculé sur un nombre de jours salariés, mais sur un montant total brut qui représente l’ensemble des rémunérations soumises aux cotisations ONSS.
Ce dispositif de conversion favorable [11], qui existait sous le nom de « règle du cachet », était exclusivement réservé aux contrats artistiques dits « à la tâche ». La proposition est désormais, d’appliquer la règle de conversion à toutes les prestations, artistiques ou non, à la tâche ou à la durée.
Pour accéder au « statut », les bénéficiaire devront être titulaire d’une attestation [12] , prouvant qu’ils ont une activité professionnelles dans le secteur artistique.
Le montant nécessaire pour ouvrir le droit au chômage a été considérablement abaissé et la procédure, simplifiée en une seule étape :
Situation actuelle | Proposition de réforme |
---|---|
Procédure en deux étapes [13] :
|
Procédure en une étape :
|
Les conditions de renouvellement ont été augmentées, mais elles sont bien plus cohérentes avec la temporalité de travail d’un professionnel des arts et, surtout, les dispositifs coercitifs, liés au contrôle de la recherche d’emploi, sont supprimés :
Situation actuelle | Proposition de réforme |
---|---|
Renouvellement tous les ans. Non dégressivité des allocations de chômage : 3 contrats artistiques ou techniques, d’au moins un jour chacun, dans les 12 derniers mois. Bénéficier de l’exception à la notion d’emploi convenable [15] : Travailler 156 jours sur 18 mois dont, au moins, 104 prestations artistiques dans le secteur artistique. Contrôle régulier des démarches de recherche active d’emploi du bénéficiaire. |
Renouvellement tous les trois ans. Non dégressivité des allocations de chômage : Avoir cotisé l’équivalent de 78 jours au terme des 36 mois, quel que soit le secteur d’activité. [16] Suppression des sanctions et contrôles, liés à l’exception de la notion d’emploi convenable et à la recherche active d’emploi. |
Il touchera des allocations (lorsqu’il n’est pas rémunéré) et ne sera plus contrôlé par les organismes dépendants de l’ONEM.
Il pourra renouveler son droit, au bout de 3 ans, s’il a cotisé l’équivalent de 3 mois de salaire minimum. La condition étant de fournir la preuve de rester en activité, pour avoir une attestation valide.
ABDIL a rédigé des remarques sur la réforme, et l’UPAC-T une analyse plus complète.
Sur l’ensemble du texte, il y a des points qui doivent être remis en question et discutés. Les critères et les mécanismes d’attribution de l’attestation, le risque d’aléatoire des décisions nous inquiète particulièrement. De même, le fonctionnement de la Commission, sa composition et son modèle de gouvernance sont peu définis dans la note WITA. C’est la porte d’accès au statut et cela nous semble complexe à mettre en œuvre. Une large réflexion est nécessaire pour assurer la viabilité et l’efficience du système de manière juste.
Mais, concernant l’assurance chômage, nous estimons que :
- La prise en compte de l’activité du travailleur artistique et non exclusivement de ses revenus, pour accéder à l’assurance chômage, est une reconnaissance importante de la grande part de travail invisibilisé des auteurices (notamment).
- La temporalité du régime est bien mieux adaptée à la réalité des auteurices. Elle permet, par exemple, de ne pas percevoir de revenus professionnels sur une période de plus de deux ans, sans pour autant voir son statut remis en question. C’est cohérent par rapport aux périodes de recherches et de création, qui peuvent être longues, ainsi qu’au « creux » parfois présents dans une carrière et indépendants de la volonté de l’auteurice ou de ses démarches.
- Ce statut concernant des professionnels, nous estimons que les montants proposés sont tout à fait acceptables, pour qui se définit comme tel. Prétendre que ces seuils sont trop élevés serait accepter que le travail ne doit pas être rémunéré autrement que par des allocations de chômage. Socialement, ce serait s’opposer à tout·e·s celles et ceux qui défendent la rémunération du travail.
- Il nous semble légitime, qu’une validation de leur activité de même qu’une participation à la sécurité sociale - qui reste symbolique, au vu des seuils - soient demandées aux bénéficiaires d’un régime spécifique.
- Les conditions d’accès à l’assurance chômage et de maintien des allocations tiennent compte des particularismes du travail artistique, et c’est indispensable pour préserver ce secteur.
Ce que propose la réforme pour les droits d’auteurs
Situation actuelle | Proposition de réforme |
---|---|
Les revenus de droits d’auteur sont cumulables avec les allocations de chômage jusqu’à 4536,48 € net / an (soit 9072,96 € brut). Le calcul est annuel. Pas de valorisation pour le bénéfice ou le maintien du régime. |
Les revenus de droits d’auteur sont cumulable avec les allocations de chômage jusqu’à 9072,96 € net/an (soit 17046,48 € brut). Le calcul est lissé sur trois ans. « Un débat doit être mené (Sic) sur la manière dont les droits d’auteur peuvent donner droit, sur une base volontaire, à la sécurité sociale. » |
En revanche, comme il n’y a pas de cotisations à la sécurité sociale sur les droits d’auteur, ils ne permettraient pas d’ouvrir ou de maintenir les droits au chômage. Ce point doit encore être « débattu », comme énoncé.
Notre analyse
ABDIL a défendu la nécessité de la prise en compte des droits d’auteur, pour accéder et maintenir le régime spécifique du chômage, mais nous estimons que la formulation actuelle ne garantit pas la mise en place du dispositif.
Aucune articulation viable n’a été proposée pour le système « mixte » évoqué, et les sociétés de gestion de droit ne le soutiennent pas. Nous craignons, donc, que le « débat » se heurte à des oppositions justifiées :
- Comment différencier les revenus de droits d’auteur et légitimer que, pour certains, on cotise « à la carte » et que d’autres soient cumulés avec les allocations de chômage, sans participation à l’ONSS ?
- Le risque est trop important que de nombreux bénéficiaires cotisent, « volontairement », le minimum nécessaire pour ouvrir et maintenir leurs droits au chômage, puis cumulent le reste, sans participation à la sécurité sociale, jusqu’au plafond maximal.
5. Le financement de l’assurance chômage
En Belgique, la cotisation sociale des employeurs sur le salaire, est généralement de ± 25 % et celle des travailleurs est de ± 13 %. Ce sont ces cotisations [17] qui financent l’essentiel de la sécurité sociale, dont l’assurance chômage. La participation des employeurs est donc plus importante. Or les exploitants de droits d’auteur (qu’ils soient employeurs, éditeurs ou diffuseurs) ne cotisent pas lorsqu’ils s’acquittent du versement de droits.
Il est donc parfois objecté que, même si les auteurices cotisaient leur part sur les droits d’auteur à la sécurité sociale, ce serait une participation moindre au financement du régime, que celle des travailleurs salariés et qu’ils ne pourraient, donc, bénéficier de l’assurance chômage.
Notre analyse
Cet argument est tout à fait contestable et parfaitement discriminatoire, car :
- Dans les faits, l’accès à l’assurance-chômage des travailleurs des arts n’est pas conditionné à l’apport de leurs employeurs à la sécurité sociale.
- Ainsi les opérateurs subventionnés (théâtre, opéra, RTBF, etc.) et les structures subsidiées sont largement déficitaires en terme de recettes publiques. Les salaires et cotisations sociales dépendent, principalement, des aides reçues. C’est donc un jeu de vases communicants, entre les communautés, les régions et le fédéral, avec les finances de l’état. La participation à l’ONSS est, également, inférieure au coût de l’assurance-chômage des travailleurs intermittents employés par le secteur.
- De même, un certain nombre de bénéficiaires actuels du régime dérogatoire du chômage (mal nommé « statut d’artiste ») témoignent avoir un volume annuel de travail salarié très faible, et donc cotiser très peu. Il n’y a pas de corrélation entre leur couverture sociale et leur participation à l’ONSS.
- C’est normal et juste, car le régime spécifique des « travailleurs des arts » se légitime, en premier lieu, par la valeur sociale globale du secteur artistique, sa diversité nécessaire et les usages particuliers de ses disciplines : intermittence et faiblesse des revenus, particularisme des temporalités de travail, la grande part de travail invisibilisé ou des formes spécifiques de rémunération et de collaboration.
- Dès lors, l’argument d’une participation équilibrée au financement de l’assurance sociale, ne peut être opposé à certains travailleurs (artistes-créateurs des arts plastiques et de l’édition, par exemple) et écarté pour d’autres (artistes-interprètes et techniciens des arts de la scène ou de l’audiovisuel, etc.).
- Par ailleurs, si les droits d’auteur rémunèrent bien le travail des auteurices, les éditeurs, de même qu’un certain nombre d’exploitants d’œuvre, ne peuvent être totalement assimilés à des employeurs. Les collaborations, qui les lient aux artistes et auteurices, sont des articulations différentes d’une relation de travail salarié. Les éditeurs ne cotisent pas sur les droits d’auteur qu’ils acquièrent mais l’économie de certains, de même que la diversité des publications, dépend aussi d’un équilibre fragile. Quel que soit leur taille ou leur démarche, ils ne reçoivent, quasiment, aucune aide publique. [18].
- C’est la responsabilité du pouvoir politique, des syndicats et des fédérations d’employeurs, et non celle des fédérations d’auteurices, d’évaluer si, et de quelle manière, les exploitants d’œuvres doivent participer à la sécurité sociale.
- La production des auteurices est une composante essentielle de la culture et elle est, bien souvent, à l’origine de l’économie de tout le secteur (qui génèrent des emplois, des cotisations sociales, des recettes de TVA, etc.)
- Comme pour les autres travailleurs des arts, c’est aussi une question de solidarité intersectorielle : la valeur sociale du travail des artistes et des auteurices ne peut se mesurer uniquement à hauteur des cotisations versées.
En clair : sans artiste-créateur, pas de création artistique ! Sans auteurice de l’édition, pas de chaîne du livre !
6. La position du comité d’ABDIL
Cumuler des droits d’auteur et des allocations de chômage, ne pas payer de cotisations sociales sur ces droits... C’est un cocktail d’optimisation fiscale et d’avantages sociaux qui peut paraître alléchant, à première vue...
Mais ça n’est pas si simple. Quel est en effet l’intérêt de pouvoir cumuler des droits d’auteur avec des allocations de chômage, si la majorité des auteurices n’accède pas à l’assurance chômage, faute de pouvoir cotiser avec leurs revenus ? Est-il juste de percevoir une allocation, financée par le salaire des autres travailleurs, et de ne pas contribuer au « pot commun » équitablement avec ses revenus ?
Ce système d’accès et de maintien de l’assurance chômage est surtout avantageux pour des artistes et auteurices rémunérés par des prestations salariées et qui touchent, en plus, des droits d’auteur sur la vente et/ou la distribution de leurs œuvres. Ce profil n’est certainement pas celui qui définit le mieux les auteurices de l’édition cherchant à se professionnaliser.
Pour la majorité des auteurices de l’édition, faiblement rémunérés et souvent en droits d’auteur, il serait certainement plus intéressant de cotiser avec l’ensemble de leurs revenus et de bénéficier ainsi de la garantie d’une allocation de chômage... Plutôt que de s’exonérer de toute participation solidaire avec les droits d’auteur qu’ils perçoivent, pour faire de maigres économies.
Nous estimons que les droits d’auteur — qu’on ne peut exclure de la rémunération des artistes et auteurices — doivent être valorisés dans le calcul permettant l’accès à l’assurance chômage.
Si les revenus de droits d’auteur permettent le bénéfice d’une sécurité sociale plus protectrice pour les artistes et auteurices, ils doivent donc aussi participer équitablement au financement mutualiste de ce régime.
C’est, évidemment, un principe fondamental de solidarité que nous défendons !
S’il est légitime que les auteurs cotisent avec leurs revenus, il serait en revanche tout à fait injuste de leur faire supporter les cotisations patronales, faute de participation des exploitants de droits d’auteur.
De même, il est essentiel de distinguer les contributions de chacun, en fonction de son statut et de sa couverture sociale.
Ainsi, celles et ceux qui ont choisi le statut d’indépendant ou ceux qui, salariés par ailleurs, contribuent au régime mutualiste sans pour autant bénéficier d’allocations complémentaires, ne doivent pas être affectés par un dispositif qui serait lié à un statut dérogatoire.
Sollicité·e·s en décembre 2020 sur cette question, la très grande majorité des membres d’ABDIL (80% des répondant·e·s) soutient que :
Beaucoup d’artistes et d’auteurices sont essentiellement rémunéré·e·s en droits d’auteur. Ceux-ci étant fiscalisés comme des revenus mobiliers, ils ne participent aucunement aux cotisations solidaires des travailleurs·euses et n’ouvrent donc logiquement aucun droit social. Si ce système est fiscalement avantageux dans certains cas, il maintient surtout un grand nombre d’artistes-auteurices en dehors d’une sécurité sociale plus protectrice, notamment grâce au bénéfice du régime d’allocation de chômage et aux dérogations favorables aux artistes (« statut d’artiste »). Nous pensons que les artistes-auteurices doivent pouvoir choisir librement, en fonction de leur régime, de pouvoir cotiser de façon solidaire avec leurs droits d’auteurs et ainsi de légitimer le bénéfice d’un statut à la protection étendue.
7. Proposition d’articulation pour les rémunérations en droits d’auteur dans la réforme
Comme nous l’avons vu, un système hybride qui permettrait, simultanément, de choisir de cotiser sur une partie de ses droits d’auteur et d’en cumuler d’autres avec des allocations de chômage, ne nous semble pas pouvoir fonctionner.
À minima, nous estimons que les droits d’auteur perçus dans le cadre d’un contrat d’édition, doivent pouvoir être valorisés sous forme de cotisations sociales. Nous estimons aussi que la carence de la part employeur ne peut être imputée aux auteurices.
De plus, distinguer les revenus de droit d’auteur selon le moment de leur perception, selon l’origine du versement (éditeurs, sociétés de gestion collective? ou autres) ou selon les besoins du bénéficiaire, se heurte à un obstacle administratif de taille : tous les droits sont fondamentalement de même nature et sont déclarés fiscalement de la même manière. Alors, comment faire pour les dissocier ?
Idéalement, une proposition réaliste devrait pouvoir permettre à chaque artiste qui est rémunéré sous forme de droits d’auteur, de choisir s’il veut cotiser ou non solidairement avec ses revenus, pour accéder au régime spécifique de l’assurance chômage. À défaut de l’adoption d’une telle proposition, la participation sociale pour les demandeurs ou bénéficiaires du régime spécifique, devrait être uniforme sur l’ensemble des droits perçus.
Enfin, pour être juste et équitable, cette participation sociale doit également prendre en compte que la rémunération sous forme de droit d’auteur est très aléatoire et inégalitaire, indépendamment de la quantité de travail fournie et sans aucun contrôle possible par le bénéficiaire (cf. le locataire qui décide de son loyer).
Proposition de mise en pratique
Pour ceux qui en font le choix, les droits d’auteur perçus, par les demandeurs ou les bénéficiaires du statut dérogatoire des travailleurs artistiques, pourraient être soumis à un régime de cotisation spécifique afin de contribuer à l’ONSS.
Les travailleurs assujettis au régime des indépendants, eux, ne devraient pas être impactés par cette articulation, car ils cotisent déjà auprès de l’INASTI. De plus, leur couverture sociale est largement inférieure à celle des salariés : ils ne bénéficient pas de l’assurance-chômage.
Ce système adopterait une logique différente de celle des contrats sous « art.1 bis », puisqu’il ne s’agirait pas de convertir des droits d’auteur en une « prestation salariée ». Les droits d’auteur resteraient assimilés, fiscalement, à des revenus mobiliers.
L’idée serait de prendre en considération ces revenus pour ce qu’ils sont, dans la participation au financement du régime mutualiste.
La cotisation sur les droits d’auteur devrait être équivalente à celle des autres travailleurs sur leur rémunération brute, mais ne pourrait pas égaler les charges totales du salaire super-brut, car les exploitants des œuvres (éditeurs, etc.) ne versent pas de cotisations sociales.
C’est évidemment injuste. Les droits d’auteur, avance comprise, devraient être considérés comme un salaire « brut » et l’auteur ne devrait payer que la partie travailleur, soit 13,07%.
Une proposition solidaire et adaptée pour les auteurices
Cette proposition n’existe pas encore en pratique, mais Abdil la défend auprès des différents acteurs de la réforme (politiques, syndicats, fédérations professionnelles, employeurs, société de gestion de droits...) car nous pensons qu’elle amènerait une amélioration manifeste du statut des auteurices en Belgique.
Les droits d’auteur seraient valorisés dans le total du montant brut, permettant l’accès aux allocations de chômage et le renouvellement du régime spécifique.
Il n’y aurait plus de plafond avec les allocations de chômage, puisque les droits d’auteur n’entreraient plus dans le calcul d’un cumul de revenus non soumis à cotisations ONSS.
Si la cotisation sociale est prélevée au moment du versement des droits, le calcul des jours de chômage non-indemnisables peut être directement déclaré (de la même manière que pour un travail à la tâche) et ces jours seraient déduits automatiquement le/les mois qui suivent la perception des droits. On évite ainsi le re-calcul des allocations et des remboursements à posteriori.
En faisant le choix de participer, équitablement, au financement du régime, les artistes et auteurices conforteraient leur légitimité à bénéficier d’une plus large protection sociale.
Le statut tiendrait, clairement, compte de la réalité du secteur et de ses pratiques professionnelles, levant, ainsi, la suspicion administrative sur la nature des revenus des artistes et auteurices.
Comme les autres travailleurs des arts, ils pourraient opter librement pour le régime (salarié ou indépendant) le plus cohérent avec leur situation.
Notes
[1] La part dévolue aux auteurices en bande dessinée et en littérature jeunesse se situe majoritairement entre 5 % et 10 % du prix de vente du livre.
[2] Les auteurs de bandes dessinées, d’illustrations ou de livres jeunesse doivent obligatoirement être inscrits dans une société de gestion collective pour percevoir leurs droits de copie privée et de reprographie. La SCAM? et la SABAM sont des sociétés de gestion principales, qui s’en partagent le monopole
[3] En 2019, le budget prévu pour soutenir l’ensemble de la bande dessinée (aide aux auteurs, à l’édition, aux lieux et aux événements) était de 193.000 € et pour la Littérature jeunesse de 219.000 €. À titre de comparaison, ces deux enveloppes cumulées sont six fois inférieures aux financements les plus faibles octroyés aux Arts de la scène (Arts de la rue).
[4] Rapport de la SCAM 2020 : 26.597 auteurs ont touché moins de 1000 € et 1260 auteurs ont touché plus de 20.000 €. Ces chiffres se rapportent à l’ensemble des auteurs et des ayant droits de la SCAM et concernent les affiliés de France, de Belgique et du Canada. L’Audiovisuel représente 80% et l’Écrit 5,1% des montant redistribués.
[5] Par « droits d’auteur », il s’agit ici des « droits patrimoniaux », les « droits moraux » étant incessibles. Depuis la loi du 16 juillet 2008, les revenus issus de droits d’auteur sont assimilés fiscalement aux revenus mobiliers.
[6] Au-delà de 62.550 € (plafond de 2021, indexé annuellement), les droits d’auteur sont imposés en tant que revenus professionnels lorsqu’ils ont été acquis dans le cadre d’une activité professionnelle.
[7] La loi a prévu un aménagement spécifique, appelé article 1bis?, permettant de transformer le fruit d’une commande artistique ou de la vente d’une œuvre en salaire, même s’il n’y a pas d’employeur.
[8] ABDIL fait partie de la confédération UPAC-T, réunissant 17 fédérations de différents secteurs artistiques, qui a participé à la réflexion sur les propositions.
[9] Le Ministre de l’économie et du travail (Dermagne), le Ministre des Affaires sociales (Vandenbroucke) et le Ministre des Indépendants (Clarinval) sont en charge de la réforme.
[10] Les organisations syndicales belges sont la CSC, la FGTB et la CGSLB. Seuls les travailleurs engagés dans une entreprise de plus de 50 salariés peuvent participer aux élections sociales. Les artistes créateurs (auteurs, plasticiens, etc.) et les autres travailleurs intermittents du secteur artistique ne sont donc pas représentés dans, et par les syndicats.
[11] Le système de conversion est toujours à l’avantage des travailleurs, car il est calculé sur le salaire journalier minimum en Belgique. Ainsi, un artiste ou technicien qui travaille un jour et touche 130 € brut de salaire, pourra valoriser l’équivalent de deux jours pour ouvrir ses droits.
[12] La Commission des arts délivrera une attestation de 5 ans à tout travailleur artistique qui prouvera une activité professionnelle, même s’il n’en tire que peu de revenus. Les critères restent à définir.
[13] Les rémunérations, dans le cadre de prestations artistiques à la tâche, sont convertibles en « jours de travail » via la règle du cachet. Une période de 6 mois, précédent la demande des allocations de chômage, peut être valorisée dans le calcul des 156 jours pour le régime.
[14] Soit, en application de la règle de conversion, un revenu brut de 9754,78 € sur le salaire de référence journalier le plus bas de Belgique (62,53 € brut)
[15] L’exception à la notion d’emploi convenable permet au bénéficiaire de maintenir ses droits aux allocations et de refuser un emploi, proposé dans un autre secteur d’activité, ou une reconversion, imposée par les organismes de contrôle.
[16] Soit, en application de la règle de conversion, un revenu brut de 4877,34 € sur le salaire de référence journalier minimum (62,53 € brut). Le montant peut être réparti sur les trois ans ou perçu à n’importe quel moment, y compris dans le courant de la dernière année.
[17] La sécurité sociale est également financée, en partie, par les recettes de TVA.
[18] Même s’il y a un gap sur la redistribution des bénéfices aux auteurices, le partage du risque et de mauvaises pratiques concernant certaines rémunérations dans l’édition (notamment quand des éditeurs rémunèrent un travail de commande par le versement de droits d’auteur), ce serait une très mauvaise approche d’opposer les auteurices et les éditeurs dans une relation manichéenne et simpliste (exploité·e·s / exploitants). L’édition d’une œuvre reste, avant tout, un travail de collaboration et tous les éditeurs ne sont pas de grandes entreprises engrangeant de larges bénéfices, loin de là. Beaucoup survivent dans une économie précaire et les aides publiques pour ce secteur sont dérisoires en FWB?, même pour les plus fragiles. Leur apport culturel est pourtant indéniable.